La théorie de l’effeuillage de marguerites, ou la malédiction du second roman

« Un second roman, c’est piégeux ! »


J’étais en train de siroter une prune au bistro avec les copines lorsque Zylla a brusquement émis ce jugement aussi incompréhensible que sans appel. Faut dire qu’elle n’est pas née au village. Il paraît qu’elle vient des Carpates. C’est pour ça qu’on ne comprend pas toujours ce qu’elle dit, mais comme elle a peut-être des liens de famille avec Vlad l’Empaleur ou la comtesse Bathory, on évite  généralement de la contrarier.
« Ouais. Les éditeurs ont même un terme pour ça, ils appellent ça le ‘syndrome du second roman’ ! »
Comme Zylla a autrefois eu une aventure avec le libraire du village, nous les filles lui faisons aveuglément confiance en ce qui concerne le mystérieux monde de l’édition (ça et ses origines ancestrales).
Faut dire que, la prune aidant, j’étais en train de chouiner au sujet de mon second opus, « La recette de la brioche selon Marie-Antoinette » qui, après le succès de mon « Traité des confitures selon Nostradamus », traînait un peu la jambe. 
Parce que oui, il y a parfois un problème avec un second ouvrage quand le premier a eu du succès. C’est un phénomène connu dans les hautes sphères. Il y a plusieurs raisons à cela. Si vous aussi avez eu des soucis avec votre second ouvrage, ou si vous prévoyez d’en écrire un, voici quelques réflexions qui pourraient vous être utiles.


La malédiction du second roman


Il semblerait de premier abord que le succès d’un premier ouvrage (ou un premier succès dans une carrière littéraire) puisse favorablement augurer du suivant, mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas. Nombre d’auteurs ne comptent qu’une œuvre majeure (en popularité) à leur actif. Qui peut citer plus d’un roman de James Fenimore Cooper (pourtant considéré comme l’un des auteurs les plus prolifiques du XIXe siècle), de Robert Louis Stevenson ou un autre roman que le premier de Françoise Sagan ? On connaît Georges Simenon pour son Inspecteur Maigret mais peu pourraient citer un seul de ses autres 177 romans. Les couronnés de prix prestigieux comme le Goncourt ne trouvent pas toujours le succès par la suite.
Nombre d’auteurs en ont fait l’expérience. Un premier succès n’est en aucun cas garant du succès du suivant. Au point que c’en est devenu un « syndrome » chez les éditeurs.
Avant, néanmoins, de vous décourager, nous allons analyser ensemble les différentes raisons qui peuvent mener à cet état de fait. Et essayer d’y apporter des réponses.

Examinons d’abord les raisons possibles pour ce phénomène.

Le travail d’une vie


Chez les auteurs plus âgés, un premier roman est souvent le résultat d’une longue réflexion et d’un très long travail. Cette première œuvre va donc représenter le fruit d’un long labeur et, comme un bon vin, va y gagner en corps, en richesse et en saveur. S’il est couronné de succès, le livre suivant va être bouclé en un temps beaucoup plus court, sous la pression des lecteurs, de l’éditeur et de l’auteur lui-même. Retrouvera-t-on la profondeur ou la fraîcheur de cette première œuvre dans le second ? Ce n’est pas forcément acquis.
Comme couvert dans cet autre article, le succès d’un premier roman peut entraîner l’auteur à ne plus rien publier du tout, à répéter toujours la même histoire comme une « formule gagnante » ou, pour les plus téméraires, à se lancer dans une toute autre direction en espérant que leur style, et non leurs histoires, puisse fidéliser les lecteurs.
Suivant le chemin que vous allez prendre après ce premier succès, la pente sera donc plus ou moins raide.

L’effeuillage de la marguerite


On pourrait penser que, parce qu’on a vendu un grand nombre d’exemplaires d’un roman, on va automatiquement vendre la même quantité du suivant, ou à peu près. Mais ça ne semble pas fonctionner comme cela.
Les auteurs le savent bien et chaque critique négative le confirme, « on ne peut pas plaire à tout le monde ». Quand on effeuille une marguerite, chaque pétale va donner une réponse différente. Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout.
Un premier ouvrage, ou un premier succès, va susciter l’intérêt et attiser la curiosité des lecteurs (qui sont toujours à l’affût du prochain livre qui va véritablement les emballer). Dans cette optique, ils se laisseront plus facilement convaincre de découvrir un nouvel auteur dont on dit du bien.
Néanmoins, comme en effeuillant cette marguerite, leur point de vue va se fixer sur l’un de ces cinq pétales après la lecture. Ils ont aimé, pas aimé, adoré, etc. Sauf cas assez rare, on n’obtiendra pas un engouement total. Il y aura des variantes, et ces variantes vont jouer sur l’achat du prochain ouvrage du même auteur. Les lecteurs qui ont été déçus ou ont simplement aimé ne vont pas se précipiter sur le prochain, d’autant plus qu’il n’y a plus ce facteur de découverte. Même les séries connaissent un déclin progressif de lectorat d’un volume à l’autre. Si vous perdez 50% de vos lecteurs d’un tome à l’autre d’une même histoire (où vous avez l’atout de tenir le lecteur en haleine), combien de lecteurs pourriez-vous perdre entre deux histoires qui n’ont aucun lien entre elles ?
C’est un vrai problème. Vous ne bénéficierez pas de l’avantage de la nouveauté pour votre ouvrage suivant et seuls les deux pétales « passionnément » et « à la folie » pourront vous garantir un possible report de lectorat. À condition bien évidemment que vous puissiez atteindre ces lecteurs parce que tous ne seront pas forcément en mesure de suivre votre actualité si vous ne faites pas partie du peloton de tête (toujours un peu le même) dont toute la presse parle.Et comme couvert dans le chapitre précédent, il y a toujours le "syndrome du second roman", la possibilité pour le lecteur d'être déçu.

Ce sont les deux raisons auxquelles je peux penser. L’auteur qui va devoir produire un nouveau succès sans forcément avoir le recul ni la liberté dont il bénéficiait pour son premier succès. Et la possible absence de motivation d’une large partie du lectorat qui va aller butiner ailleurs.
Pour conserver son lectorat, l’auteur va donc devoir s’atteler à fidéliser ses lecteurs. Dans la plupart des cas, ça ne va pas se faire en un jour, voire une année.

* Fidéliser en développant un personnage central.


La fidélisation requiert la familiarité. Amélie Nothomb est probablement une des maîtres du genre. Elle est partout, accessible, discute avec ses lectrices, les appelle par leur prénom, porte des chapeaux qui la distinguent du commun des mortels. Elle est le personnage central de son œuvre et tout le monde a le sentiment de la connaître. D’autres auteurs plus discrets vont développer un personnage central fictif et chaque nouvel ouvrage va reprendre le personnage et renforcer son existence jusqu’à ce qu’il devienne familier. Maigret, Sherlock Holmes, Poirot, Tarzan, James Bond, Jean-Baptiste Adamsberg, etc.
La familiarisation est facilitée par le fait d’avoir une figure de proue, toujours la même, déclinée à différentes sauces. C’est la répétition qui va entraîner la familiarité.

* Fidéliser en développant un style particulier


D’autres auteurs, Stephen King et Haruki Murakami par exemple, sont parvenus à imposer un style qui leur est propre. Même si toutes leurs histoires sont fondamentalement différentes, elles découlent toutes du même moule. On achète le dernier King ou le dernier Murakami, sans se soucier des personnages et souvent même de l’histoire. On adhère au style. Cette « patte » bien particulière s’est construite au fil des ouvrages sans que l’un d’entre eux ait plus d’importance que d’autres. Les gens aiment différents ouvrages de ces auteurs, pas toujours les mêmes. Jules Verne est un autre de ces auteurs prolifiques dont le style et le type d’histoires sont devenus une marque de fabrique. Il y en a d’autres.
Pour accomplir ce degré de familiarité, il faut creuser son trou dans une direction bien précise. Adopter un style et un genre bien particulier, et s’y tenir. Multiplier les sorties les unes après les autres, aussi fréquentes que possible. Cultiver une image en adéquation avec son œuvre. Ici la familiarisation se fera par le volume des ouvrages et la continuité du style et du genre.
C’est probablement la voie la plus longue et la plus casse-gueule, d’autant plus qu’aujourd’hui il semblerait que les différentes avenues à explorer aient toutes été tracées. Une réflexion que les écrivains de l’Antiquité devaient d’ailleurs se faire.
En d’autres mots, si vous avez écrit une romance trash et que votre prochain ouvrage est un traité de mécanique, il va falloir utiliser un pseudo pour ne pas jeter votre lectorat dans la confusion et diluer son enthousiasme. 

Voilà, c’était ma réflexion du jour, née d’une soirée entre copines autour d’une bouteille. Peut-être cela répondra-t-il à certaines de vos questions.

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