Votre récit doit-il être un fauteuil au coin du feu ou une montagne russe ?

Aujourd’hui, nous allons nous intéresser au récit, aux deux uniques styles d’écriture qui le composent, et comment utiliser l’un ou l’autre pour moduler le rythme du récit et éviter de lasser ou d’étourdir le lecteur.

Car oui, il n’y a que deux façons de mener un récit. C’est la conclusion à laquelle je suis arrivée après bien des années à taquiner la Muse. J’ai tourné le problème dans tous les sens et je n’ai pas réussi à réfuter cet argument massue : quoiqu’on fasse, quoiqu’on veuille, quoiqu'on dise, il n’y en a que deux. 

Le descriptif ou le narratif.   

L’idée, bien sûr, n’est pas nouvelle. Ce n’est pas comme si elle était surgie spontanément de ma vieille caboche ou de mes neurones au bord du burn-out. Tout le monde sait cela. Pourtant, c’est une question fondamentale lorsqu’on réfléchit à la façon d’introduire et développer un sujet, une scène, un personnage, une idée, etc.



Faut-il narrer ou décrire ? 


Avant d’aller plus loin, définissons nos termes. Je vous aurais bien sorti des définitions savantes mais je n’en ai pas trouvé qui me satisfasse. Une même scène peut être écrite des deux façons sans qu’on puisse définir clairement ce qui différencie l’une de l’autre. Le récit peut passer de l’une à l’autre au détour d’un paragraphe, voire d’une phrase. La différence est pourtant ce qui sépare un fauteuil au coin du feu d’un siège de montagne russe.

Car, effectivement, l’écart est aussi flagrant.

Le descriptif est un mode passif. C’est votre fauteuil au coin du feu.

C’était une belle après-midi d’été. Georges était maire du petit village depuis bientôt vingt ans. Nous allions pêcher les oursins au clair de lune tous les jeudis. 

La description est la respiration d’un texte. Elle permet d’écourter ou d’allonger le temps, de voyager, de poser les bases d’une histoire ou le décor d’une scène. Elle met de la distance entre le lecteur et les faits exposés, ralentit le rythme. Ainsi, elle peut devenir ennuyeuse si elle est utilisée trop fréquemment. Un texte qui n’est que descriptif finira par lasser. Même les plus passionnés lisent rarement un Lagarde et Michard ou le Bottin pour le plaisir.

À l’opposé, le narratif est un mode actif. C’est votre siège de montagne russe. Il se produit dans le temps présent du récit (un flash-back est une façon de ramener un événement passé au mode narratif et donc dans le présent). Il est souvent articulé autour du dialogue, quoique certains dialogues puissent être entièrement descriptifs (sous la forme généralement de longues tirades).

J’ouvris la porte. La pièce était plongée dans l’obscurité et je dus avancer à tâtons. « Ferme la porte, murmura une voix féminine, je n’aime pas la lumière. » Je m’exécutai et la faible lueur venant du couloir disparut tout à fait. Il me sembla entendre comme un sifflement dans le noir.


La narration est ce qui oblige le lecteur à entrer dans la peau du personnage. C’est un facteur d’empathie. Elle accélère le rythme du récit, le lecteur assiste au déroulement de la scène en direct, sans distance et sans pause. Utilisée à l’excès, elle peut devenir épuisante car elle ne permet pas de reprendre son souffle. Un texte narratif trop long devient fatiguant, stressant, au même titre qu’une montagne russe qui n’en finirait pas.

Narrer ou décrire, faut-il choisir ?


Lorsqu’on prend conscience de la différence fondamentale entre ces deux styles d’écriture et de l’effet que l’un ou l’autre a sur le lecteur, il faut ensuite décider duquel utiliser pour chaque scène, chaque personnage, chaque situation.

Prenons tante Annie, une personne au caractère fort déplaisant dont petit Pierre a été le souffre-douleur durant son enfance, à tel point que son seul souvenir suffit à le replonger dans des crises de bégaiement. Voilà un personnage que nous pouvons introduire soit en mode descriptif comme je viens de le faire, soit en le mettant en scène dans une narration.

Petit Paul jouait aux osselets, assis par terre dans sa chambre, lorsqu’un courant d’air froid le fit soudainement frissonner. Une ombre se profila sur le parquet, grandissant à vue d’œil. « Encore à tes jeux stupides ! Ne t’ai-je pas dit cent fois que je ne voulais pas te voir traîner dans la maison ? » La voix était acerbe et petit Paul sentit comme une main froide se refermer sur sa gorge. « Je-je-j’ai fi-fini  mes de-de-devoirs… » essaya-t-il de protester mais les mots avaient du mal à sortir, comme à chaque fois que tante Annie l’admonestait, et c’était pratiquement toujours.


La narration est plus longue, demande plus de détails, mais elle est une façon de créer une proximité (autrement dit de l’empathie ou antipathie) pour la scène et ses personnages.

Chaque scène peut en fait être traitée de l’une ou l’autre façon. Quelque soit la scène, quelque soit la situation, quelque soit le personnage, l’auteur a le choix de le traiter en descriptif ou en narratif. Vous pourriez prendre à peu n’importe quel chapitre d’un de vos propres écrits et le passer de l’un à l’autre.

Il est possible d’écrire un récit entièrement dans un seul de ces deux styles en omettant totalement l’autre, mais ça reste du domaine de l’expérimental. C’est possible, ça existe sans doute. On sait ce qui est arrivé au Nouveau Roman.

Même au Moyen-âge, les auteurs avaient
compris l'importance du narratif/descriptif.

La grande majorité des récits utilise un dosage de l’un ou l’autre. Je suis allé fouiner dans ma bibliothèque et même un texte du treizième siècle « La queste du Saint Graal » utilise savamment les deux. La Bible également. Descriptif pour les moments calmes, pensifs, les racines du récit, les transitions d’un état à l’autre, le passage du temps. Narratif pour l’action, le suspense, les bouleversements, les retournements de situation, les conflits, les révélations, les moments « bon sang, mais c’est bien sûr ! ».  Comme tout récit s’articule autour d’un ou plusieurs conflits, et sur une ou plusieurs transformations, il est difficile de se passer de l’un ou de l’autre.

Imaginez un instant la révélation de l’assassin en mode descriptif et vous verrez que l’impact et le suspense seraient grandement réduits. Par contre, vous n’utiliseriez sans doute pas le narratif pour évoquer le lent dépeuplement d’un village de montagne. Chaque type de situation a son style.

Mais ce n’est pas toujours aussi évident.


Narratif, d'accord, mais combien?


La question est donc, quel pourcentage de l’un et l’autre et lequel utiliser à tel ou tel point du récit ? La tendance semble être pour un usage équilibré. Rares cas exceptés, descriptif et narratif se marient harmonieusement dans le récit et à parts égales. Une astuce consiste à surligner d’une certaine couleur tous les passages narratifs dans un texte et il deviendra rapidement évident si un style succède à l’autre de façon régulière et équilibrée ou si le texte penche trop d’un côté.

Quant à choisir quel style privilégier pour une scène, cela dépend entièrement de l’effet désiré et de la présence ou l’absence du style opposé dans les scènes précédentes ou suivantes. C’est à l’auteur de décider si l’un ou l’autre convient mieux au rythme et au tempo du récit à ce moment précis. Quitte à déplacer le passage à un autre endroit du texte pour ne pas nuire au rythme du récit. Lorsque vous êtes au milieu d’une bataille frénétique, le moment est mal choisi pour réfléchir aux raisons pour lesquels vous vous battez ou pour admirer le paysage. Faites-cela avant ou après. Si par contre votre bataille dure deux cent pages, prenez le temps de vous égarer de temps en temps dans les descriptifs ou vous aurez perdu votre lecteur.

En conclusion, lorsqu’à la relecture de votre texte vous sentez que le rythme est trop lent ou qu’au contraire il est trop rapide, posez-vous la question de savoir si vous avez abusé d’un style ou de l’autre et s’il ne faudrait pas injecter une part de descriptif ou de narratif dans le récit pour rétablir l’équilibre. Comparez l’attrait d’un livre d’Histoire à celui d’un roman historique si vous en doutez.

Vous pouvez même créer un effet de choc en passant de l’un à l’autre au moment où le lecteur s’y attendra le moins, si c’est ce que vous désirez.

Vous pouvez relire chaque paragraphe ou chapitre de votre texte du point de vue du fauteuil au coin du feu ou du siège de montagne russe. Chaque scène, situation, etc. peut être décrite de l’une ou l’autre façon. À vous de décider celle qui fonctionnera le mieux suivant l’effet que vous désirez créer.

Voilà. J’espère que cette petite astuce stylistique vous sera utile. Comme je l’ai dit, je ne l’ai pas inventée mais ça fait partie des règles de l’écriture qu’on utilise sans parfois s’en rendre compte. En être conscient peut être très utile lors de la relecture pour éviter les longueurs ou au contraire les passages trop tendus.

Bon, je retourne à mon tricot. 



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