Le principe de la Joconde, ou la valeur thérapeutique des platitudes.

Je m’étonne parfois, en consultant les listes des meilleures ventes, de l’apparente vacuité de certains ouvrages et auteurs qui figurent en tête des classements et de l’hystérie collective que leur parution déclenche auprès des fans. Je ne suis pas votre grand-mère pédante qui va vous expliquer les vertus du Nouveau Roman, loin de là. J’aime tout autant un bon polar, un subtil roman d’espionnage ou une romance déchirante mais les livres qui comptent pour moi ont toujours été ceux qui m’ont permis d’ouvrir les yeux sur le monde qui m’entoure, sur les autres et sur moi-même. Je me souviens encore parfaitement, plus d’un demi-siècle plus tard, des émotions et de l’émerveillement qui ont émaillés certaines de ces lectures. C’est tout frais dans ma tête même si je n’ai plus ouvert ces livres depuis des décennies. J’aime sortir d’un livre avec une vision plus large, le sentiment d’avoir appris quelque chose, d’être en quelque sorte plus riche. Comme tous les arts, la littérature est pour moi une ouverture sur les univers du possible.

Pourtant, en voyant ce qui se vend en nombre astronomique dans les librairies, je me pose de sérieuses questions. Voir des titres aussi évocateurs que « Demain », « Ici et là », « Après », « Toi et moi » dominer les listes des meilleures ventes me donne parfois des envies de hurler aux loups. Je suis un peu particulière, je sais, mais quelque part je souffre pour les artistes et écrivains qui essaient de faire quelque chose de différent et qui hantent le bas du classement dans l’indifférence générale.

Je me posais donc cette question lorsqu’une jeune amie m’a fourni un élément de réponse qui me semble pertinent et que j’ai appelé, faute de mieux, le principe de la Joconde.


Où l’on parle de peinture.


Je parie que même dans les peuplades reculées d’Amazonie, tout le monde connaît Mona Lisa. Ce petit portrait de Da Vinci est aujourd’hui le tableau le plus célèbre au monde et des millions de gens font la queue chaque année au Louvre pour le privilège de quelques secondes devant ce fameux chef-d’œuvre. Ignorant au passage les autres toiles du maitre accrochées là qui sont autrement plus intéressantes. La Joconde, vous la verrez mieux sur la plupart des reproductions qu’au Louvre où elle est maintenant si bien enchâssée qu’on peut à peine la voir. Pourtant les gens continuent à défiler inlassablement devant elle, dans un silence respectueux et quasi religieux.

Pour étayer l’étonnante popularité de ce petit tableau qui, à mon humble avis, n’est pas ce que l’on voit de plus intéressant en peinture de l’époque, on a inventé toutes sortes de légendes au sujet de son sourire ambigu, de ses yeux qui vous suivent partout et autres prétextes fumeux. Si vous voulez voir un tableau réellement hanté, allez plutôt voir La jeune fille à la perle à La Haye.

Ne vous méprenez pas, j’adore Da Vinci et je trouve que ses tableaux ont une beauté et une force indéniables et immédiatement reconnaissables. 

En fait, cette toile a une vertu bien particulière et probablement unique pour un tableau (Nymphéas de Monet inclus). Elle est thérapeutique. Vous pouvez rester des heures à la regarder sans vous lasser. Et pas une pensée ne traversera votre esprit pendant que vous le faites. C’est l’ultime représentation d’un art qui ne bousculera aucun de vos sens. Rien dans le paysage pour arrêter votre œil, aucune couleur criarde, aucun bout de chair indécent, une immobilité totale, rien dans le regard ni les traits pour éveiller la moindre passion.C'est un tableau serein, reposant.

Quel rapport, allez-vous me dire, avec la littérature ?


Et bien, ma jeune amie et moi parlions d’un roman à succès qui fait un tabac auprès de millions de lecteurs et que je ne lirai personnellement pas si ma vie en dépendait, lorsqu’elle a dit quelque chose qui a fait tilt dans ma vieille tête. Pour elle, lire ce genre de littérature le soir dans son lit lui permet de se « vider la tête ».

C’est là que j’ai compris. La vertu de ces romans est qu’en fait ils sont d’une bienfaisante platitude. Pas un poil ne dépasse. Belle héroïne, beau et riche héros, vilain caricatural, destinées idéales, rien ne vient troubler le happy ending. On peut les lire sans effort, passer des heures à ne penser à rien et en ressortir à l’autre bout la tête vide. Un Xanax n’aurait pas fait mieux.

Ces ouvrages ont sur le cerveau un effet anxiolytique. C’est leur grande qualité. Quelques heures loin des tracas du quotidien à remplacer les tourbillons de pensées par de vastes étendues de néant. On en ressort purgé, le cerveau vide, lavé. Pas question d’introduire ici la moindre idée originale, de bousculer le moindre poncif. Tout est bien qui finit bien.

Bien sûr, comme les anxiolytiques, cela n’a qu’un effet palliatif. Quelques heures de fausse sérénité et vous voilà replongé au cœur de vos problèmes qui eux, n’ont pas disparu. Le beau prince ne viendra pas vous sauver dans son carrosse doré ou sa Maserati, la jeune étudiante ne tombera pas follement amoureuse de votre sale tronche et vous permettre d’assouvir vos fantasmes. Cette lecture ne vous a pas fait avancer d’un poil. La vie n’est pas une suite de poncifs et de platitudes. Alors, à peine le livre reposé, vous allez attendre le prochain avec des frémissements de manque. 

Et le cycle recommence dans une fébrilité compréhensive. Au niveau marketing, on ne fait pas mieux.

Alors, est-ce une mauvaise chose ? Probablement pas pour ceux qui en tirent un bénéfice, ne serait-il que passager. Un livre qui vous vide la tête, nous en avons tous besoin. À condition de ne pas en faire la totalité de notre culture. Cela devrait être l'exception mais, au vu des listes de ventes, c'est plutôt la règle. Ça m'inquiète quand même beaucoup.

Personnellement, je pense que la littérature peut aussi servir à autre chose. À vous ouvrir les yeux, par exemple. À mieux vous comprendre et à comprendre les autres. À apprendre chaque jour de nouvelles choses. À réfléchir. À adopter de nouveaux points de vue. La liste est longue. Au bout d’un livre, vous devriez en sortir plus fort, prêt à affronter la vie sous un autre jour. Lire en quelque sorte non pas pour palier à un manque mais pour avancer. C’est mon avis, vous n’êtes pas obligé de le partager.

Bon, la semaine prochaine, je vais essayer de terminer cet article sur l’histoire unique, qui me turlupine depuis un moment déjà.

1 commentaire:

  1. Oui, certainement, cependant,même si la Joconde n'est pas le top du top, c'est tout de même autre chose par rapport à la peinture que du MussoLévy par rapport à la littérature. Non ?

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